Né en 1982 à Versailles mais familier des week-ends en Normandie dont ses parents sont originaires, Nicolas Gouin retrouve la Seine-Maritime à plein temps à l’âge de 10 ans. 4 ans plus tard, en rupture avec le système scolaire, il se passionne, grâce à l’apprentissage, pour la pâtisserie et la boulangerie. L’artisan, installé à Cailly depuis 2011, enchaîne palmarès et reconnaissance. Et y associe volontiers ses apprentis. Prix du meilleur maître d’apprentissage de France, puis d’Europe, mais aussi meilleur croissant d’artisan de Normandie 2021… Portrait d’un Normand pour qui passion rime avec transmission.
Concours et challenge
« Je suis entré en préapprentissage à Bolbec, en pâtisserie, j’avais 14 ans ½ » se souvient Nicolas. Le début d’un parcours professionnel qui transformera sa vie, semée de concours. Il gagne par exemple trois fois celui de la fête du pain à Rolleville – qui mélange sans distinction apprentis comme artisans. « J’ai toujours eu de bons patrons, et j’ai eu un très bon professeur au CFA, M. Leprêtre, quelqu’un de très important pour moi. Les professeurs en général ont été formidables » reconnaît Nicolas avec humilité. En 2ème année de brevet professionnel, son professeur l’encourage à s’inscrire au concours national jeune entrepreneur. « Cela me correspondait – et il savait que j’avais l’intention d’ouvrir ma propre boulangerie. » En jeu ? Un prix à l’installation de 20 000 euros pour le lauréat.
J’ai toujours participé à des concours : c’est une façon de se remettre en question, de se tenir à jour et de se challenger.
Fort d’un dossier et d’un profil pertinents, Nicolas se hisse sur la 2ème marche du podium et obtient 10 000 euros. Avec cette manne et toujours à l’école, le jeune homme se met en quête de chercher son premier fournil… Les débuts se font à Marcilly-sur-Eure, près de Dreux, en novembre 2004, avec sa femme Joséphine. Puis après la naissance de leur fils Louis en 2009, direction Cailly, en Seine-Maritime, à 30 minutes de Rouen. L’Atelier du Pain ouvre en septembre 2011. Tous les ans depuis 2004, Nicolas accueille des apprentis. « Cela coulait de source. J’ai fait moi-même plus de 7 ans d’apprentissage qui m’ont beaucoup appris. Je pars du principe qu’il faut savoir transmettre et former. »
L’apprentissage comme transmission
5 élèves et un stagiaire sont accueillis aujourd’hui dans la « famille », en alternance dans différents centres de formation du territoire. Il y a Jérémy, depuis 5 ans en pâtisserie, qui suit cette année une formation de chocolatier à l’Institut National de la Boulangerie Pâtisserie (INBP) à Rouen. « Il a arrêté l’école en 4ème. Quand il est arrivé, j’ai pris le temps de lui faire voir les différents gestes. Aujourd’hui, c’est le plus autonome de mes apprentis. Il envoie du lourd » souligne Nicolas, pas peu fier. On retrouve aussi Sasha, 26 ans, titulaire d’un master pro d’anglais, en contrat de deux ans pour un Bac Pro boulangerie ; Maël, 21 ans, en Bac Pro boulangerie également à l’INBP ; Alexandre, en mention complémentaire pâtisserie à Dieppe et Enzo en CAP boulangerie d’un an, en alternance au CFA Simone Veil de Rouen. Ainsi que Lucas, doctorant de 32 ans en biochimie en reconversion, cette fois en stage boulangerie, en alternance à l’INBP.
En apprentissage, il faut bosser et se donner un maximum.
Une variété de profils qui change parfois la donne : le salaire d’un apprenti et les aides afférentes dépendent de l’âge et non de l’année d’apprentissage. « Par exemple, Jérémy, qui a moins de 20 ans, gagne 66% du SMIC, soit environ 1000 euros par mois. Et je reçois 8000 euros d’aides pour son année. Sasha reçoit un SMIC à 100% vu ses 26 ans, et l’aide de 8000 euros s’étend sur ses deux ans de formation » explique le professionnel. Pourtant la situation de Sasha un an auparavant était bien différente. « En formation boulangerie, payée 900 euros par mois en raison de ses 25 ans, elle dépensait 700 euros en moyenne en carburant et péages, par passion et détermination. » Une réelle motivation – qualité essentielle pour le maître d’apprentissage – qui a justifié les contraintes financières de Nicolas pour cette deuxième année.
Apprentissage : temps et récompenses
Nicolas met un point d’honneur à suivre et organiser des formations à l’extérieur comme au sein de sa boulangerie. « Cela permet d’apprendre, toujours : c’est le travail d’une vie ! ». Régulièrement, il fait appel aux compétences des Meilleurs Ouvriers de France ou de celles de l’INBP, qui dispose d’un pôle recherche et développement pour les produits. Et parce que Nicolas pense collectif, il y associe dès qu’il le peut ses apprentis. « C’est plus productif pour tout le monde. Et pour les jeunes, avoir une formation entre 16 et 20 ans avec un Meilleur Ouvrier de France par exemple, c’est rare. » C’est bien connu, les voyages forment aussi la jeunesse… Un principe auquel adhère le boulanger-pâtissier qui a déjà envoyé, par le biais du programme ERASMUS, trois apprentis en Finlande et un en Chine, afin de diffuser leur savoir-faire artisanal.
Être maître d’apprentissage, c’est savoir donner son temps.
Cette implication au service de la formation confère à Nicolas, en 2017, le titre de meilleur maître d’apprentissage de France, décerné par la Chambre des Métiers. « C’était un dossier de candidature dans lequel on devait décrire notre vision de l’apprentissage » se souvient le boulanger. Un an plus tard, un dossier de candidature similaire le conduit à tenter le Prix européen. Le thème ? L’apprentissage et les échanges internationaux. « Fabien, l’un de mes apprentis, venait de partir en Chine, cela tombait bien… ». En finale à Vienne, face à un fabricant de gargouilles, Nicolas défend corps et âme son métier et n’oublie pas de situer Cailly… en Normandie. « Je lui ai donné la saveur d’un village d’irréductibles gaulois… après tout, la pâtisserie, moi aussi je suis tombé dedans petit » lance-t-il non sans malice. Sur plus de 4000 votants, le panel européen et les 650 personnes de la salle lui décerneront le titre.
La passion du savoir-faire
Un véritable métier-passion aux valeurs bien normandes et gourmandes. Viennoiseries, gâteaux, pains spéciaux, brioches, chocolats, tartes… sucré ou salé, « on fabrique tous les produits qu’on vend – à part les bonbons ! ». Pour assurer ses spécialités – la meilleure baguette tradition de 2015, ses croissants et ses « Petits Caillais » notamment – l’artisan utilise près de 5 tonnes de farine par mois issue du Moulin de Vittefleur, 2 tonnes et demie de beurre par an – d’Isigny bien sûr ! – et 1 tonne de sucre par an… Quant au lait entier, il provient depuis septembre de la Ferme des Peupliers, rencontrée lors du dernier FÊNO. Vous l’aurez compris, Nicolas n’aime rien tant que de faire marcher le local pour ses matières premières. « Ce que l’on fabrique, on le mange ! » aime-t-il rappeler.
Les qualités d’un bon apprenti ? La motivation et le goût du travail.
Une exigence de qualité qu’il applique également lorsqu’il corrige les examens, chaque mois de juin. « Il faut savoir qu’avec un CAP, on a le droit d’ouvrir une boulangerie… il faut donc une certaine expérience, assurer la sécurité alimentaire… ce n’est pas l’école des bisounours ! ». Impulsif et généreux, Nicolas y va rarement par quatre chemins concernant son métier. « Si vous voulez faire plaisir aux gens et si vous voulez devenir apprenti : faites-le ! Mais mieux vaut commencer jeune : il faut tout de même 8 à 10 ans pour être bon. Et surtout s’investir constamment. » Et les inconvénients ? On valorise souvent le boulanger en oubliant la boulangère… au grand dam de Joséphine, qui gère la boutique d’une main de maitre. « Si je n’ai pas la boulangère pour mettre en valeur les produits… je ne les vends pas » reconnaît le grand Caillais, en jetant un énième regard à sa complice de toujours.
Et pour la suite ? Après une 4ème place au concours du meilleur croissant de France fin octobre 2021, Nicolas se tourne vers d’autres défis. Le dernier en date ? La participation à la sélection Normandie de la meilleure boulangerie de France.
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