A Saint-Pierre-en-Auge, dans le Calvados, l’Etablissement public local agricole Le Robillard abrite une promotion un peu particulière : unique en France, la certification de « spécialisation cidricole » s’adresse à des personnes souhaitant se reconvertir dans le domaine de la production ou de la transformation cidricole. Décryptage.
Deux formations diplômantes et un parcours à la carte
Ils s’appellent Benjamin, Alix, Eloïse, Baptiste ou encore Loïc. Depuis octobre, ils ont intégré la promo du CFPPA du Robillard, qui accueille en moyenne une quinzaine de personnes chaque année. « Nous proposons deux formations diplômantes et des modules spécifiques », explique Guillaume Le Bigot, directeur du CFPPA. Organisées en journées thématiques, les formations BP REA (Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole) et Certificat de spécialisation « Production cidricole » ont 420 heures de formation communes, au travers de parcours de formation individualisés. Le certificat, unique en France, s’adresse notamment aux personnes souhaitant conduire un verger de pommes à cidre en tant que producteur, transformateur ou négociant de produits cidricoles.
Arboriculture et production, transformation en bière, vinaigre, pommeau, calvados, atelier de dégustation, commercialisation, équipements… « Nous proposons des cours théoriques en salle, des travaux pratiques sur l’exploitation de l’établissement, avec les cuves, le verger, la salle de dégustation, le tri mais aussi des visites à l’extérieur sur des thèmes précis, ou pour appréhender globalement une entreprise » explique Frédéric Vieillard, coordinateur de la formation. Stages en immersion et interventions de professionnels de la filière – caviste, conseiller arboricole, œnologue etc. – complètent le travail de l’équipe pédagogique. Une formation apparue en 1995 pour répondre à une demande, dans l’une des régions les plus productrices en termes de volumes.
La promo regroupe une quinzaine de stagiaires : 1/3 en BPREA, 1/3 en Certificat de Spécialisation et 1/3 sur certaines journées thématiques.'
Reconversion et projet d’installation
Les profils ? Des adultes entre 35-40 ans en moyenne, parfois plus jeunes, aux projets affirmés. Issus de Normandie mais aussi de Bretagne, de la Creuse, du Pays Basque, de l’est de la France, ces stagiaires suivent l’une ou l’autre des formations dans un esprit de reconversion. A l’image de Benjamin, 25 ans : Parisien, cet ancien pompier souhaite créer une cidrerie en Bretagne, dont il est originaire. « Je suis le certificat de spécialisation : je viens apprendre le métier, je ne suis pas du tout issu de ce monde ! Mais j’ai découvert une cidrerie qui était à vendre près de Rennes, et ça m’a pris de passion. » Une tendance de plus en plus en vogue : les agriculteurs souhaitant se diversifier laissant place à de nouvelles générations entièrement tournées vers le cidre.
On peut suivre cette formation sans avoir vu une pomme de sa vie !'
« Aujourd’hui, nous n’avons que des gens en pommes pures » confirme Frédéric Vieillard, qui, en 20 ans, a constaté une autre évolution : « les gens sont de moins en moins issus du milieu agricole, et ont des diplômes élevés dans des domaines de compétences différents. » Un atout selon le formateur qui observe les échanges : « dans des domaines particuliers, certains ont des compétences fortes qui servent au groupe, sur la vente ou le marketing, par exemple. » Ingénieur en industrie, école de commerce…
Si beaucoup viennent d’horizons différents, les projets n’en demeurent pas moins construits. « Ce n’est pas de la réinsertion professionnelle forcée, on ne vient pas ici par hasard » affirme Guillaume Le Bigot. Originaire de Picardie, Alix a 27 ans. Engagée dans le Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole, elle souhaite exploiter le verger familial pour ouvrir une cidrerie avec une association de retraités : « je cherchais une formation cidricole, le diplôme BPREA me permet de récupérer les terres pour les exploiter et mener à bien mon projet. » Un objectif dans l’air du temps, qui mêle méthode authentique, biodynamie, vente directe et souci de l’avenir.
Un renouveau qui attire
De 7 à 8 stagiaires, la promo en attire désormais une quinzaine depuis quelques années. « La tendance, très forte, c’est que ces personnes veulent travailler dans des petites entreprises ; elles veulent être seules, avec un ou deux salariés, et savoir ce qu’elles font. » La plupart des stagiaires sont d’ailleurs prêts à diviser leurs revenus par deux pour trouver un nouveau sens à leur quotidien. Un renouveau qui se conjugue avec celui du produit. « Ces nouveaux profils sont aussi apparus parce que l’image du cidre a évolué » note Frédéric Vieillard. « On n’est plus sur une boisson pétillante de tous les jours. » Cidres à la pression, beaux flacons… « dans les bars rennais, on trouve soit de l’industriel, soit du cidre étranger : moi, je veux proposer du cidre artisanal, au marketing différent, avec une typicité différente, adapté aux attentes et à mes goûts » promet Benjamin.
Preuve de cette nouvelle notoriété, le Robillard attire également de nombreux internationaux, avides d’apprendre du savoir-faire normand. Plusieurs fois par an, en fonction des demandes, « des Japonais, des Américains, viennent suivre une ou quelques journées de formation sur des thématiques qui les intéressent » explique le directeur du CFPPA. Car la notoriété du cidre a depuis longtemps explosé frontières et poncifs. « Les nouvelles générations sont dans la tendance, tournées vers l’avenir, elles le vendent mieux. Ces producteurs croient au renouvellement, tout en gardant cette image de marque d’authenticité, de naturel, sans gluten, moins alcoolisé : des facteurs qui séduisent aujourd’hui. »
Les personnes viennent chercher un savour-faire, la proximité des produits du terroir.'
Thématiques