Il était une fois… un petit garçon, de 10 ans, terriblement désireux d’aller en Normandie. Mais pas à n’importe quel moment ! Arthur, car c’est son nom, est passionné par la Seconde Guerre mondiale. Pas par les armes, ni le bruit ni même la fureur, mais par l’importance de cette période qui le précède de deux à trois générations.
Alors pour les 80 ans du débarquement, pourquoi ne pas aller sur les lieux mêmes où tout s’est dénoué ? Pourquoi ne pas saluer la mémoire de ses arrière-grands-pères qui ont pris part au conflit ? Pourquoi lui, Arthur, n’aurait pas le droit, comme certains grands, de rendre hommage à ces milliers de combattants pour la liberté ?
C’est parce que ce petit garçon n’a pas renoncé, qu’avec sa maman Julie à ses côtés, il était, ce 6 juin 2024, sur la plage de Colleville-sur-Mer parmi les plus grands chefs d’État.
Retour sur une belle histoire du D-Day.

Une passion

” Je m’appelle Arthur. Jabite à Villiers sur Loir. J’ai 10 ans et surtout je suis passionné par la 2ème Guerre mondial. Notamment par le débarquement et la bataille de Normandie. “

C’est par ces quelques mots, certes simples mais sortis tout droit du cœur, qu’Arthur rédige une lettre à l’intention du ministre des Armées et formule un vœu : se rendre, avec sa mère et sa sœur à la cérémonie officielle d’hommage aux vétérans de la Seconde Guerre mondiale.

Une cérémonie privée, officielle et à guichets fermés, qui se tient en Normandie, le 6 juin.

Mais d’où vient une telle passion ?

Il faut savoir qu’Arthur est un lecteur compulsif : dictionnaire français-anglais, manuels d’histoire, tout y passe. Les podcasts, aussi, l’ont fait plonger dans l’Histoire, encore tout petit. Trajectoires et grands destins d’inconnus et héros traversant la guerre ont nourri son esprit et occupé bien des trajets en voiture…

« Je pense particulièrement au podcast sur Simon Gronowski, rescapé de la Shoah, qui l’a marqué. Ce sont des moments d’histoire qui sont mis en avant et adaptés aux enfants, hyper pédagogique » retrace Julie, sa maman.

Une première visite en Normandie

Ce n’est pourtant pas la première fois qu’Arthur foule le sol normand. « Je m’intéresse à toute la période depuis environ 2 ans, et plus encore au Débarquement depuis qu’il y a quelques mois, on est allés en Normandie avec ma classe » explique Arthur. En cette année de 80ème anniversaire, les enseignants de l’école Louis Gatien à Villers-sur-Loir ont en effet eu la riche idée d’emmener les élèves du CE1 au CM2 en classe nature sur les lieux de mémoire normands. « Les enseignants permettent aussi d’amplifier l’apprentissage et d’ancrer tout ceci sur un territoire, pour donner encore plus de matière » abonde Julie.

Plages du Débarquement, cimetière de Colleville-sur-Mer, Mémorial de Caen… « ça permet vraiment de se représenter les lieux même où l’histoire s’est passée. » A tel point qu’Arthur n’a bientôt plus qu’une idée en tête : y retourner. Et si possible lors du D-Day, pour rendre hommage aux soldats venus libérer la France, lors de la cérémonie officielle. Il faut dire aussi que ses camarades et lui sont coutumiers des hommages rendus au passé. Armé d’un clairon dégoté dans une brocante (devenu quasiment un gri-gri), l’écolier -et sa petite sœur Charlotte- assistent régulièrement aux cérémonies aux morts, et autres levées de drapeau. « Il y a une vraie implication de la commune, de l’école, auprès des anciens combattants. C’est vraiment important pour eux : il nous est même arrivé de décaler de quelques heures un départ en vacances pour leur permettre d’assurer leur rôle ! » confie Julie dans un sourire.

Arthur et le D-Day

Histoire(s) personnelle(s)

Cette histoire, c’est aussi l’héritage familial d’Arthur. « J’ai un arrière-grand-père, Jean Diraison et son frère, qui ont été raflés le 30 juin 44 à Crozon et déportés » confie le jeune garçon. Carte de la résistance, documents, et même un pyjama de camp… : l’histoire a pu s’incarner à travers les années grâce à la grand-mère d’Arthur qui a transmis ce que son père lui avait confié. La famille, c’est aussi l’histoire plus rocambolesque de l’arrière-grand-père maternel, Marcel Lutz, Alsacien, enrôlé dans l’armée allemande. « Il a combattu sur le front russe et a réussi, après avoir été blessé par balle, à déserter pour rejoindre la France en se cachant dans des fermes en Hongrie » raconte Julie, qui ajoute : « c’est une histoire qui me touche, que je tiens directement de mon grand-père. Pour les générations de l’âge d’Arthur et les suivantes, la transmission orale n’est plus possible : ceux qui ont vécu cette seconde guerre sont de moins en moins nombreux. Et bien souvent, toutes ces histoires de vie, personnelles, traumatiques, ont été tues par ceux qui les ont vécues. Je mets donc pas mal d’énergie à transmettre à mon tour. »

Transmission(s)

 « C’est un vrai devoir, c’est le devoir de mémoire, il doit être entretenu. Ça me touche de penser à tous ces soldats qui ne nous connaissaient même pas et qui sont quand même venus nous aider » résume simplement Arthur. Sa détermination est sans faille : à tel point que ses parents lui lancent un jour en guise de punition, le défi d’écrire directement sa motivation. Mais la missive, une fois rédigée, cherche son destinataire. Adressée au ministre des Armées – le Normand Sébastien Lecornu – comment s’assurer qu’elle arrive à bon port ? Comme bien souvent quand on n’a que 10 ans, les obstacles sont tous surmontables, et les solutions, évidentes.

– Tu peux peut-être en parler là où tu écris des messages professionnels ?
– Enfin mon chéri, Linkedin, c’est spécialement pour des sujets de travail.
– Justement maman, c’est bien le travail de quelqu’un d’envoyer ces invitations. 

Échec et mat. 

Extrait du post Linkedin de Julie

Professionnelle de la communication, Julie cède : elle explique et publie dans un joli post la requête de son fils sur Linkedin. « Je me disais, au pire, ça fera 3 likes et ce sera un sujet de rigolade à la machine à café… ». L’histoire en sera autrement : les mots d’Arthur, sa motivation, la simplicité de la lettre, touchent droit au cœur des milliers de personnes. En une semaine, la lettre a été vue par plus de 230 000 personnes ; le post récolte près de 5 000 réactions, 329 commentaires de soutien et pas moins de 816 partages. Une chaîne spectaculaire, soutenue par l’algorithme de Linkedin, et l’émotion des internautes qui se mobilisent. Jusqu’à ce mail envoyé par la Mission du 80ème anniversaire des Débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire, confirmant que le post est parvenu à l’interlocuteur idoine. Il contient une invitation pour Arthur et Julie, en Normandie.

De me dire qu’il y a des enfants qui vont être en capacité d’avoir un petit peu d’esprit critique et de jugement, et de connaissance d’un passé, qui nous permettra peut-être de pas refaire tout le temps les mêmes erreurs… Oui, ça me rend fière.

La Normandie le jour J

Dans le sillage de l’objectif, le post attire naturellement la générosité normande. Ici, une invitation à accueillir l’avion des vétérans le 3 juin par Virginie Durr ; là, à découvrir l’histoire de Raymond, 20 ans en 1943, partagée par sa petite-fille… Les deux Loir-et-Chériens ont même reçu plusieurs propositions bienvenues d’hébergement de Normands, touchés par la démarche. Le duo est accueilli dans la famille de Sandra à Lasson, dont les 3 enfants sont également passionnés depuis qu’ils ont reçu chez eux “Papy Jack”, un vétéran américain.

Au-delà de la cérémonie officielle, l’idée est également de profiter de ces deux jours pour prolonger le moment : Pegasus bridge à l’occasion d’une visite guidée offerte par Selma et Christophe, habitants à proximité et férus d’histoire, où se situe le premier café libéré ou encore l’impressionnante reconstitution, proposée à la Batterie de Merville-Franceville.

Marie-Anaïs Thierry

Mère et fils sont allés déposer une fleur sur une tombe, au cimetière américain de Colleville-sur-Mer. « Nous le faisons au titre de l’association Les fleurs de la mémoire, dans laquelle l’UNC de notre commune est engagée. L’idée est qu’un ancien combattant s’engage à aller fleurir une tombe d’un soldat tombé lors des combats de 1944, pour assurer à sa famille qu’elle continue d’être fleurie. » L’ancien combattant de leur commune ne pouvant plus se déplacer, Arthur et sa maman ont volontiers assuré sa mission en fleurissant la tombe d’une soldat répondant – jolie coïncidence – au prénom d’Arthur.

Emotion(s)

On a passé une journée incroyable. On a vécu de nombreuses émotions, notamment à la vue des vétérans. Arthur a été submergé de larmes quand il a compris que les photos que les vétérans avaient avec eux étaient celles de leurs frères d'armes décédés depuis, qu'ils emmenaient ainsi en Normandie !

Ces deux jours resteront sans nul doute gravés longtemps dans sa mémoire. Et parce que cette dernière doit circuler, le jeune garçon partagera cette expérience, à distance, avec ses camarades de classe, tout aussi passionnés. Exposé et vidéos sont aussi au menu de son retour : des souvenirs et valeurs comme autant de témoignages d’une mémoire retrouvée.

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