Sur les rives de l’Orne, du côté de Mondeville, un chantier naval un peu particulier abrite l’une des innovations les plus fascinantes du monde maritime : les bateaux amphibies tout-terrain d’Iguana Yachts, présents à l’international dans 25 pays. Portrait.

D’une contrainte, une solution

L’histoire d’Iguana Yachts prend sa source il y a plus de 10 ans. A l’époque cadre mondial de la société de conseil Accenture, Antoine Brugidou parcourt la planète pour travailler auprès d’Etats sur leurs projets de réformes. S’il n’est pas né en Normandie, sa femme est originaire du Cotentin : le couple possède une maison à Granville où Antoine aime se ressourcer. Voilier, bateau à moteur… Pour se détendre, cet amoureux de la Manche navigue régulièrement vers les îles anglo-normandes. Mais la saturation des ports, la mise à l’eau complexe par la plage, d’autant plus dans un contexte de marées, lui pèsent : « je prenais moins de plaisir surtout avec le peu de temps dont je disposais » explique Antoine. L’idée – un peu folle – lui vient alors d’imaginer un bateau amphibie, c’est-à-dire apte à passer en milieu terrestre et aquatique.

L’amphibie est une idée perturbante mais qui a toujours fasciné

En 2008, de premiers échanges avec un ami designer lui font imaginer un système d’embarcation munie de chenilles. Son objectif ? Concevoir pour son usage personnel un bateau qui concilie esthétisme et technique, vitesse et maniabilité, sur terre comme sur mer. Après plusieurs appels auprès de divers chantiers, le projet prend enfin forme en 2011, avec un premier prototype, l’Iguana 29.  « Je l’ai montré à Philippe Fourrier, un ancien de la Fédération des Industries Nautiques qui m’a vivement conseillé de le montrer à Cannes. » Cannes, où se tient chaque année en septembre le Cannes Yachting Festival – l’un des plus gros d’Europe.

Débuts mondiaux : de Cannes à Dubaï

Un salon qui permet à Antoine de réaliser très vite que son prototype de bateau amphibie répond à des problématiques variées de nombreux plaisanciers à travers le monde : gain de temps, praticité, facilité d’entretien et de stockage, rapidité… La démonstration organisée sur la croisette en 2011 remporte un franc succès et la mise à l’eau, qui se déroule sans encombre, démontre l’efficacité de l’idée. Un premier succès synonyme d’une nouvelle vie pour Antoine. « Je me suis dit que ce serait intéressant de changer d’univers, et de créer ma propre boîte. »

A l’international, l’ancrage territorial normand est très important : il faut venir de quelque part, c’est rassurant

Rejoint par un ingénieur, il conçoit alors une deuxième version de l’Iguana 29 plus performant qu’il présente sous forme de maquette à Dubaï. Sur le stand, une première vente s’amorce. « Le fils d’un émir souhaitait offrir un modèle à son père… et m’a demandé de visiter le chantier. » A l’époque, comme tout début qui se respecte, « le chantier » se résume surtout à deux cerveaux et des sous-traitants. « Je l’ai cependant invité en Normandie, chez moi, avec sa famille pour lui présenter l’histoire et le bateau. » Touché par cette invitation et séduit par le modèle, le client est livré l’année suivante. C’est le début d’un vrai rayonnement à l’international.

Une innovation technologique

Afin de monter son activité, Antoine Brugidou fait une levée de fonds auprès de quelques investisseurs, dont Normandie Participations. Mais si le grand public est séduit par l’idée, les professionnels du nautisme et les aficionados de la plaisance sont plus circonspects. Qu’à cela ne tienne, l’entrepreneur normand met un point d’honneur à leur prouver qu’ils ont tort. Stabilité, tout-terrain, grande vitesse grâce aux matériaux composites… « Mes bateaux sont performants, grâce à leur centre de gravité, qui est bas. Ils sont aujourd’hui reconnus pour leur qualité de navigation. » D’abord hébergée au sein de la pépinière d’entreprises nautiques Norlanda 1, Iguana Yachts est désormais quelques mètres plus loin, sur Norlanda 3, au pied de l’Orne. Aujourd’hui, 43 salariés travaillent à l’élaboration des différents modèles au sein du chantier naval de plus de 5000 m2.

Les chenilles, contrairement à ce que l’on peut penser, ne sont pas lourdes et permettent beaucoup plus de portance.

L’innovation ? Un système de mobilité qui offre le moyen d’incorporer un ensemble de chenilles dans les coques du bateau, sans compromettre ses excellentes propriétés hydrodynamiques. « Une fois les chenilles repliées dans la coque, l’Iguana devient un bateau puissant équipé pour naviguer par tous les temps, pouvant atteindre jusqu’à 48 nœuds. » Une innovation unique au monde qui place la marque normande aujourd’hui comme l’une des trois seules entreprises sur le marché international de l’amphibie. « Sealegs en Nouvelle-Zélande est notre concurrent historique, mais il propose des bateaux à roues, et non à chenilles » précise Antoine.

Un marché de niche et durable

Cette technologie brevetée dans 8 grandes régions économiques explique le coût à l’achat des Iguana, compris entre 300 000 et 600 000 euros HT selon le modèle. Mais plus la marque est forte, moins le prix est challengé… Moyen de transport pour gagner les îles privées, tenders de yachts, accès facilité aux propriétés en bord de mer… « C’est un marché de niche, compte tenu du prix des bateaux aujourd’hui, mais ma conviction c’est que l’amphibie peut concerner beaucoup de monde » stipule Antoine Brugidou. Les premiers concernés ? Les early adopters, à savoir les personnes à l’affût des nouvelles tendances, mais aussi celles en recherche de temps. Dans un monde où le temps semble nous échapper, l’amphibie répond à cette demande d’instantané.

Les moins expérimentés sont les plus ouverts au gain de temps et d’énergie.

Outre la fluidité de navigation et la praticité offerte par les chenilles, les Iguana ont également un volet écologique. « Combien de bateaux s’abîment toute l’année dans les ports pour n’être finalement utilisés que 5 jours par an ? ». Produits corrosifs tels que les antifouling pour caréner les bateaux, peintures qui se dissolvent, tracteurs massifs via les plages… « L’Iguana permet de limiter cette incidence écologique : plus besoin de laisser le bateau mouiller dans un port et la pression des chenilles en caoutchouc ne représente que le poids d’un adulte sur un seul pied. » Outre la motorisation terrestre, thermique ou électrique, la marque travaille également sur des versions plus écologiques… en électrique et à foils.

Projets pluriels

Aujourd’hui, l’Iguana est utilisé comme tender, c’est-à-dire annexe, par une dizaine de super yachts dans le monde – un marché du très haut-de-gamme qui représente entre 20 et 30 millions de chiffre d’affaires potentiel pour l’entreprise. L’objectif pour 2022 ? Continuer de développer ce volet luxe, tout en amorçant de nouvelles clientèles. Désormais présente sur le marché d’occasion avec des prix qui se tiennent, Iguana Yachts a la maîtrise des prix de revient et une image de marque connue à travers 25 pays. « Nous sommes mûrs pour la phase 2 et de nouveaux marchés » se réjouit le président-fondateur.

Nos bateaux naviguent toujours, c’est une reconnaissance.

Et notamment celui des professionnels. Par exemple ? Les garde-côtes, afin d’intercepter rapidement et discrètement les bateaux suspects depuis la plage ; les sauveteurs en mer, intéressés par la facilité de la mise à l’eau comme de la sortie sur la plage, à pied sec et les sorties à marée basse ; ou encore les taxis en mer, qui peuvent approvisionner leurs clients plus facilement. Dernier axe de ce volet pro, la pose de câbles sous-marins ou encore le transports de troupes. « Nous souhaitons également initier en 2022 une deuxième gamme de bateaux, plus petits et moins chers à destination du grand public » termine Antoine Brugidou.

L’Iguana, maillon entre le passé et l’avenir ? Après tout, quoi de plus légitime pour un territoire qui a connu le Débarquement que d’être le berceau de ces bateaux tout-terrain, imaginés, conçus et fabriqués en Normandie…

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