Le propre d’une filière économique ? Selon la définition, réunir l’ensemble des activités complémentaires qui concourent, d’amont en aval, à la réalisation d’un produit fini. Du champ au vêtement, en passant par teillage, peignage, filature, tissage et tricotage : grâce à la Normandie, la France peut désormais se targuer de réunir toutes les composantes du lin textile, reconnu pour sa qualité à travers le monde. En Normandie, dans l’Eure, La French Filature a notamment permis, en 2022, de relocaliser un savoir-faire disparu, la filature de lin au mouillé, complétant ainsi la chaîne de valeur.
Une fibre écologique
Considéré comme une matière écologique, le lin a cet énorme avantage d’être cultivé avec peu d’intrant, préférant un climat tempéré, alternant ondées passagères et soleil éclatant. Peu gourmande en eau, sa culture ne requiert donc aucune irrigation, contrairement à son cousin très connu, le coton. Historiquement cultivée en Normandie, cette matière naturelle végétale est majoritairement utilisée dans l’industrie textile depuis de nombreuses années, qui reconnaît notamment ses propriétés thermorégulatrices et sa solidité.
Le lin est également peu « gâché » : l’entièreté de la plante est valorisée dans des domaines variés. Les fibres longues sont utilisées pour le textile, les fibres courtes pour la papeterie ou les matériaux composites, les anas vont servir comme combustibles pour chaufferies ou panneaux de particules par exemple. Outre les vêtements, on le retrouve ainsi dans des toiles de tente, des portières de voiture ou sièges d’avion, dans des raquettes de tennis, du béton, des panneaux isolants …
Les champs normands, embellis à la mi-juin par l’éclosion éphémère de cette petite fleur bleue, représentent ainsi près 70% de la production française, estimée à 130 000 hectares, soit 61% de la production mondiale.
Du champ au vêtement
Pour comprendre l’importance de la filière et de ses acteurs, il faut savoir que plusieurs étapes sont nécessaires pour passer de la graine au fil, puis au textile. Une fois arrivée à maturité, la plante est déposée dans toute sa longueur au sol, avant d’être transformée par l’effet du « rouissage ». Ce processus naturel – à l’eau de pluie – décompose les parties non-fibres de la tige, sans aucun produit chimique. Une fois récoltées, les tiges de lin sont soigneusement traitées lors du teillage, une opération mécanique et sans chimie qui consiste à extraire la fibre. Puis vient le temps du peignage, où les fibres sont étirées et calibrées pour former des rubans doux et lustrés. Après la préparation en mèches, elles sont ensuite filées pour être utilisées dans la fabrication de textiles.
Ce process réunit souvent plusieurs savoir-faire. C’est le cas, notamment, de la filature qui a disparu de France à la fin des années 90. En cause ? Importations asiatiques et essor des matières synthétiques qui ont mis à mal le modèle économique, exigeant en main-d’œuvre. « Pour résumer, les agriculteurs normands font la matière première, la transforment dans la région et les fibres longues de lin sont ensuite exportées en Inde ou en Chine pour faire du fil, du tissu, des vêtements, qui sont ensuite vendus en France, avec une étiquette made in China ou made in Bangladesh » explique Karim Behlouli, directeur de la branche fibres de la coopérative agro-industrielle NatUp.
Un fonctionnement exempt de bon sens et pour le moins coûteux en carbone qui a été remis en question en 2022, grâce à la relocalisation d’une petite partie de la production et notamment du savoir-faire de la filature de lin au mouillé.
La relocalisation : une filière 100% française
En France, le groupe NatUp est l’un des artisans de cette relocalisation. « Voulant répondre au besoin des consommateurs, nous avons réimplanté la première filature de lin et chanvre au mouillé en France du XXIème siècle. C’était le chaînon manquant de la filière française » souligne Karim Behlouli, directeur de NatUp fibres, qui regroupe EcoTechnilin dans l’Eure, la Seine-Maritime et la Pologne, le tisseur Lemaitre Demeestere dans le Nord de la France, et La French Filature.
Cette dernière structure, installée sur le site de peignage et de préparation de rubans EcoTechnilin, à Saint-Martin-du-Tilleul, produit depuis 2022, un fil d’une grande finesse, grâce au procédé dit « au mouillé ». Un fil particulièrement adapté pour le tissage et le tricotage de textiles, pour l’habillement et le linge de maison. Une qualité locale et une traçabilité qui séduit les différents ateliers français, à l’instar de MIJUIN, lauréat des derniers Trophées de l’économie normande. « L’offre de La French Filature répond totalement au besoin des tisseurs, des confectionneurs et des marques qui ont pour stratégie d’offrir des produits 100% lin made in France » se réjouit le directeur.
Désormais, l’heure est au collectif pour inciter les grandes marques à s’emparer du lin français : pour ce faire, plusieurs grands acteurs, dont La French Filature, et NatUp Fibres ont participé au lancement d’une plateforme collaborative d’échanges entre les acteurs de la filière le 22 juin 2023. Bleu Blanc Lin, c’est son nom, est portée par l’Union des industries textiles, et, à l’instar de sa cousine Bleu Blanc Chanvre, a pour objectif de faire renaître les filières lin françaises autour d’un programme d’actions sur les trois prochaines années.
Bon à savoir
La French Filature a pu ouvrir grâce à un investissement de 4,4 millions d’euros, cofinancé par NatUp, la Région Normandie et l’État, pour permettre notamment l’acquisition de 14 nouvelles machines de filature.
NatUp est un groupe agro-industriel qui rassemble 7 000 agriculteurs dont 5 000 adhérents de Normandie, Picardie, Île-de-France et Eure et Loire. La coopérative accompagne les agriculteurs pour une production durable et de qualité et assure la commercialisation de leur grains, bovins, ovins et légumes. Le groupe compte 4 pôles : grains, légumes, fibres et distribution rurale. NatUp compte 1 800 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros.
L’usine de Saint-Martin-du-Tilleul est en capacité de sortir 250 tonnes de fil par an, soit l’équivalent d’1,25 million de chemises, 750 000 pantalons de yoga ou 300 000 draps de lit.
Pour assurer la qualité du fil conforme aux attentes de ses clients, La French Filature dispose d’un laboratoire qualité chargé de vérifier la conformité des fibres entrantes aux spécifications requises. Il s’assure également que les caractéristiques de résistance mécanique, de finesse, de couleur et de régularité du fil répondent aux critères de commande.
La Normandie est leader dans la production de lin. En plus du textile, les atouts de cette plante végétale et sa transformation intéressent les secteurs industriels tels que l’aéronautique, l’automobile ou le nautisme. Spécialisée dans le teillage de lin, première transformation de la plante qui consiste à en extraire la fibre, principalement à destination de ses clients filateurs du textile, l’entreprise seino-marine Depestele a ainsi été retenue par le programme de l’État France 2030 pour son projet baptisé « Prosperity » porté en lien avec l’ENSICAEN et l’Université de Caen. Ce projet collaboratif soutenu par l’État pour un budget d’1,5 millions d’euros, vise à lever les freins au déploiement des matériaux en fibres de lin, à concevoir et industrialiser la production pour trouver des modes de réutilisation et de recyclage de ces matériaux issus à 100% de ressources renouvelables.
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