Histoires familiales, souvenirs émus, transmissions nécessaires : qu’ils l’aient vécu directement, ou sous le prisme de la mémoire, les Normands ont un lien fort avec le Débarquement. Synonyme de liberté, mais aussi de destruction, ce 6 juin 1944 a bouleversé le destin de nombreuses familles. A l’occasion du 80ème anniversaire du Débarquement et de la bataille de Normandie, nous avons sondé nos ambassadeurs sur leur lien avec le conflit et sa résolution. Morceaux choisis.
Héros paternel – Michel
” Mon père Jean Grandguillotte, né en 1921, s’est engagé volontaire dans la Marine Nationale à 18 ans. Sa famille à Quettehou, dans la Manche, a masqué son existence aux Allemands qui fréquentaient le café de ma grand-mère.
Au Débarquement, il était canonnier sur le Georges-Leygues, à côté du Montcalm. Il a ensuite participé au débarquement en Provence. Ma mère a eu le nez cassé en refusant de descendre du trottoir devant un occupant. Ils étaient faits pour s’entendre et se sont mariés en 1947. Après, il y a eu la guerre d’Indochine, où mon père sauva des civils, mais c’est une autre histoire.
Les commémorations étaient l’occasion, à Port-en-Bessin, de retrouver ses compagnons de bord, moins nombreux à chaque fois…”
Reconnaissance(s) – Marina
” En janvier 1942, un avion a été abattu au-dessus de Cherbourg et s’est écrasé près de chez ma grand-mère à Colomby. Personne n’avait jamais réussi à identifier le pilote et les 6 membres d’équipage. Le seul signe distinctif récupéré près de l’avion, très brûlé : une bague avec les initiales « MML ». Il y a quelques années, avec l’aide d’un auteur de la Manche spécialisé dans l’aviation militaire, mon oncle a entamé des recherches. Ils se sont rendu compte qu’on pouvait lire les initiales différemment, en les retournant : WWF. Un graveur formé à l’école Boulle confirme alors la gravure initiale. WWF, correspondait aux initiales d’un aviateur Australien, enterré dans le cimetière de Cherbourg tout comme les 5 autres membres de l’équipage : le sergent William Wallace Forgan, RAAF (Force royale aérienne australienne). On avait des tombes, des dates mais on ne savait pas quand ils étaient morts… De l’autre côté, il y avait l’avion sans identification de l’équipage. Grâce à de longues recherches et à la bague, mon oncle a pu rapprocher les deux. Contactée, la famille était extrêmement contente d’avoir enfin le lieu et le récit de ce qui lui était arrivé. Mon oncle et ma tante sont même allés là-bas : toute la famille, très heureuse, avait fait le déplacement des 4 coins de l’Australie pour accueillir ces Français venus leur apporter la bague du héros de guerre. Mon oncle a fait célébrer avec l’aide du maire de Golleville le dépôt stèle commémorative expliquant les événements qui l’avait amené à reposer ici. “
Reconstruction – Gérald
” Je me souviens je me promenais avec mes parents dans le Havre, juste après la guerre, dans les années 50, et je me rappelle encore voir tous ces immeubles détruits, les bateaux coulés dans le port, en particulier dans le bassin de Commerce, mais aussi dans les autres bassins, les cheminées de bateaux qui sortaient de l’eau. La reconstruction du Havre. Les premiers bus de transport en commun dans la ville. Et bien d’autres souvenirs, que je ne peux pas oublier. Le Havre a été la ville de mon enfance. “
Après la guerre… le pardon – Isabelle
” Je vous livre ici le récit d’une anecdote qui nous a été confiée à mes élèves de Courseulles-sur-Mer et moi par Madeleine, fille de paysans travaillant près de Caen.
Après le Débarquement, comme beaucoup de prisonniers allemands, Edgar est placé dans la ferme familiale pour aider aux travaux des champs. Mais un jour, une somme d’argent, une paire de chaussures, ainsi qu’Edgar se volatilisent, sans provoquer d’émois chez les parents de Madeleine. Des années plus tard, installés à quelques kilomètres de là, un homme se présente au domicile, accompagné de sa femme. C’est Edgar, médecin, venu exprès en France pour rendre ce que le père de Madeleine lui avait prêté. “
Être née quelque part – Danièle
” Je suis née à Caen, rue aux Juifs en février 1944. Bien entendu, je ne me souviens de rien mais la maison de mes parents a été bombardée et j’ai entendu de nombreuses fois que notre famille s’est retrouvée dans l’église Saint-Étienne pendant 17 jours avant de partir pour Bayeux. J’avais pour berceau une brouette. Mon père qui avait 45 ans lorsque je suis née, aidait la “Croix Rouge” et allait tous les jours traire une chèvre le long du canal pour que je puisse être alimentée. “
Décision(s) – Valérie
” Le D-DAY ? Cela évoque les histoires que me racontaient ma grand-mère maternelle sur sa vie à Habloville, un joli petit village de l’Orne. Elle avait fait l’expérience des deux guerres mondiales, car elle était née en 1908.
Deux choses me reviennent à l’esprit : sa décision de changer les directions des panneaux de signalisation afin que l’armée allemande se retrouve en face des Alliés… et la décision de mon grand-père de construire une tranchée près de la maison pour y protéger famille et voisins. Je ne sais pas quand il a eu l’idée de creuser cette tranchée mais lui, sa femme et leurs trois enfants ont survécu au débarquement et au déferlement d’avions et de bombes. En ce qui concerne ma grand-mère paternelle, elle était allée avec mon père, alors âgé de six ans, voir l’épave d’un avion allemand qui s’était écrasé dans son champ. Sur place, un doigt, dans l’herbe. Mon père n’a jamais oublié. “
Tomber en amour – Céline
” Le Débarquement sur les côtes normandes il y a 80 ans, outre la dimension historique, fut aussi le début d’une longue et belle histoire entre la Normandie et le Québec pour ma famille paternelle. En 1944, ma grand-mère maternelle et sa famille vivent à Lasson, petit village au Nord de Caen. A la même époque, les troupes d’un régiment canadien y sont stationnées. Alors qu’un jour les 2 cousines de ma grand-mère, Jacqueline et Renée, vont chercher de l’eau au puits du village, elles y font la connaissance de deux soldats : Marcel et…Marcel ! Cette rencontre changera le cours de leurs vies. A l’issue du conflit, les soldats – Marcel Gauvin et Marcel Robidas sont rentrés chez eux au Québec non sans faire la promesse de leur retour pour les épouser. L’année suivante, promesses tenues ! Toutes deux se sont mariées à l’église de Lasson avant de partir vivre au Québec. Malgré la distance géographique et des moyens de communication limités à l’époque, contacts et liens familiaux ont toujours été maintenus. L’expression « Les cousins du Canada » a perduré au fil des générations. Visites à l’occasion de vacances, déplacements professionnels ou commémorations en Normandie et découverte du Québec pour mes grands-parents et d’autres membres de la famille. Les autres générations qui ont suivi ont gardé le lien, certains pour y voyager, étudier, travailler et vivre ou bien encore pour d’autres, y tomber en amour à leur tour ! “
Sous les bombes – Bruno
” Le Jour J pour ma famille, c’est en particulier sa préparation du 19 avril 1944 sur l’agglomération rouennaise. Cheminote, ma grand-mère dort rue Fulton à Sotteville-lès-Rouen, proche de son travail, tandis que mon père et ma tante sont protégés aux Essarts. Mon grand-père, de son côté, est prisonnier et torturé à Gdansk. Cette nuit-là, c’est l’enfer ! Pour tous, même les alliés. Il y a une erreur de marquage de la cible : au lieu de viser la grande structure SNCF de Sotteville-lès-Rouen, les marqueurs sont sur toute la ville et même une partie de Saint-Étienne-du-Rouvray ! Les 3 vagues de bombardiers à 5000 mètres lâchent les bombes sans contrôler, les équipages sont épuisés et font leur travail le plus rapidement possible. Les canons anti-aériens de l’armée allemande ne font pas mouche. Ma grand-mère meurt sous une bombe. Mon père m’a raconté que, vu des Essarts, Rouen n’était qu’un brasier : il gardait souvenir du feu de la raffinerie de Petit Couronne au début de la guerre pour comparer. Plus tard, il a ressenti la même chose au cinéma dans le Film “Quo Vadis” lorsque Néron fait brûler Rome. Ma grand-mère est enterrée à la campagne, j’essaie d’aller voir sa tombe, mais c’est loin et je m’arrête plus souvent devant la stèle de la gare de Rouen où son nom, Juliette, est inscrit. “
Un D-Day, pour ne jamais oublier – Jean-Pierre
« C’est pour moi l’ultime évocation de la libération de l’Europe, asservie au nazisme, grâce aux démocraties en guerre sous protection américaine salvatrice des peuples opprimés d’Europe occidentale, de Chine et du Pacifique, en présence des tout derniers acteurs du 2e conflit mondial.
Nous ne les oublierons jamais, ni eux ni leurs frères d’armes depuis longtemps décédés. Un jour prochain se profile, où seuls à jamais persisteront les témoins silencieux, jeunes pour toujours, dans les cimetières militaires de Normandie. La grandeur de l’entreprise de Libération par les alliés occidentaux demeurera, mais les visages familiers des acteurs auront disparu de nos mémoires. »
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