A quelques heures de l’ouverture du Salon de l’Agriculture à Paris, où une nouvelle fois, les départements présenteront leurs nombreux atouts sous la bannière collective normande, focus sur un aspect parfois peu connu de l’agriculture… Découvrez l’innovation normande avec Rémi Laurent, directeur de l’innovation des Chambres d’agriculture de Normandie.
Publié le 22/02/2019
Temps de lecture : 5''10'
Qu’entend-on par innovation en agriculture ?
Elle est multiple ! Il y a des innovations très techniques au sens agronomique ou technologique, des innovations autour des productions, avec l’apparition de nouvelles transformations ou de filières, comme le sarrasin. Il y a également toutes les innovations qui vont concerner l’usage du numérique, mais aussi l’innovation dans les modes de distribution, qui vont du magasin à la ferme jusqu’à des magasins de producteurs, de la vente par internet, des drives fermiers… Au Salon de l’Agriculture, nous allons présenter les nouveaux métiers comme l’aquaponie : ce sont des métiers hybrides puisque ces maraîchers pisciculteurs maîtrisent autant le végétal que l’animal. Sur le volet social également, ce qui bouge vraiment, c’est que l’évolution des marchés (fin des quotas…) et les nouveaux outils renforcent le rôle d’entrepreneur de l’agriculteur. Nous soutenons d’ailleurs une chaire avec l’EM Normandie sur les modèles entrepreneuriaux agricoles : parce qu’il y a également beaucoup d’innovation dans la façon même de piloter une exploitation. Il y a aussi tout ce qui tourne autour des emplois partagés, des Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole, des groupements d’employeurs, des services de remplacement… L’innovation intervient dans tous les prismes du métier.
Comment naît l’innovation et comment est-elle portée sur le terrain ?
Au-delà de la technologie, il y a également des agriculteurs qui innovent dans leur quotidien, et que l’on révèle notamment à travers notre concours Trucs et Astuces, organisé tous les deux ans. Le principe, c’est que les agriculteurs innovent eux-mêmes dans leurs exploitations avec des astuces souvent simples, mais qui permettent d’apporter des réponses très concrètes à des problèmes qu’ils rencontrent dans leur quotidien. Cela devient une innovation une fois que cette invention est déployée auprès du plus grand nombre. Nous organisons aussi depuis deux ans le forum Champs d’innovation avec le soutien de la Région Normandie et de nombreux partenaires. L’idée, c’est d’aller chercher des innovations cette fois plutôt au niveau de la recherche, des instituts techniques agricoles, des start-ups, des chambres d’agriculture… d’identifier et de présenter des solutions qui sont prêtes à être utilisées par les agriculteurs. C’est, par exemple, un système de dialogue avec les éleveurs basé sur une intelligence artificielle, des solutions nouvelles de végétalisation en pépinière de pleine terre, de la dépollution de l’air par les plantes pour des usages en agriculture urbaine, un analyseur de lait à la ferme… Ce forum s’adresse à tous les prescripteurs du monde agricole : conseillers, formateurs, enseignants… c’est une façon pour nous de projeter l’innovation sur le terrain. Nous parlons également innovation, mais pas seulement, lors des Prairiales que nous organisons tous les ans à destination des éleveurs. Nous avons une dernière modalité avec les portes ouvertes Innov’Action, tous les ans, où les agriculteurs qui ont mis en œuvre une innovation témoignent auprès de leurs collègues. Voici quelques exemples illustrant la manière dont nous favorisons l’innovation en Normandie.
En juin prochain se tiendra le Sommet Européen de l’Innovation Agricole, pourquoi en Normandie ?
Il y a également des innovations que l’on va co-construire avec les agriculteurs, qui sont au cœur des politiques européennes aujourd’hui. Cette logique de groupe opérationnel, c’est-à-dire un groupe d’acteurs – agriculteurs, chercheurs, développeurs – qui vont ensemble construire des solutions, est porté par un dispositif financé par le FEADER. C’est notamment ce que mettra en exergue le Sommet Européen de l’Innovation Agricole les 25 et 26 juin prochains, à Lisieux. Par exemple, c’est ce qui a été fait au siège de la ferme expérimentale la Blanche Maison, près de Saint-Lô. La ferme représentait le monde agricole et ont été associés des startups, un territoire, via Manche Numérique, une collectivité – la Région, un pôle de compétitivité – le Pôle Tes, et le Laboratoire d’Automatique de Caen. L’idée était de voir comment les objets connectés pouvaient être mis au service du pilotage de l’exploitation.
Comment ces innovations sont-elles expérimentées ?
Je pense par exemple au dispositif Agri’Up que nous avons construit avec Agrial, le Crédit Agricole Normandie et le Pôle Tes : c’est un dispositif original dans le panorama national parce que c’est le seul « Village by CA » porté par 4 partenaires dès sa création. Il associe le monde des startups avec le Pôle TES, et les acteurs en capacité de projeter l’innovation sur le territoire, c’est-à-dire les chambres d’agriculture et Agrial dans un environnement favorable qu’est le Village by CA porté par le Crédit Agricole. Cela permet aux start-ups qui rejoignent le dispositif d’expérimenter leurs solutions, à la ferme expérimentale La Blanche Maison mais aussi dans les fermes du réseau Agrial. Aujourd’hui, 300 structures agricoles de cette coopérative ont accepté d’accueillir des innovations pour les tester en situation réelle. Les quatre partenaires ont formulé l’ambition de faire de la Normandie le territoire d’excellence de l’expérimentation du numérique en agriculture.
Pourquoi ? Quels sont ses atouts ?
C’est une région qui est forte sur le plan agricole et agroalimentaire et qui a un écosystème numérique développé. Nous sommes la première région de France en termes de surfaces agricoles, 3ème sur le lait, 4ème sur la viande, 1ère pour le cheval, 4ème pour le porc, 4ème pour les grandes cultures, 1ère pour le lin, 3èmepour les valorisations non alimentaires, c’est-à-dire l’énergie, les biomatériaux, les biocarburants… Lorsque nous ne sommes pas 1ers, nous ne sommes jamais loin du peloton de tête : la Normandie a cette force d’être une région équilibrée avec une agriculture très diversifiée. Elle dispose aussi d’un écosystème d’enseignement supérieur et de recherche remarquable dans tous les domaines, dont celui de l’agriculture avec le campus rouennais d’UNILASALLEqui est devenue aujourd’hui la 1ère école d’ingénieurs agronome privée en France.
La Normandie est donc attractive ?
On vient de le voir : elle peut donner envie à des agriculteurs de venir s’installer en Normandie parce que cela bouge mais elle peut également donner envie à des industriels de venir s’installer parce qu’il y a des matières premières agricoles susceptibles d’être transformées, notamment grâce au volet innovation autour de la transformation des matières premières agricoles : soit directement à la ferme avec la méthanisation soit en bioéconomie, avec les biomatériaux. Rappelons que dans certains cas, une plante peut avoir trois usages : la graine, le corps de la plante et le cœur de la plante. On peut faire de l’alimentaire et du non alimentaire avec une même plante : le lin en est le parfait exemple, puisque l’on récupère à la fois les graines et la fibre. On se sert des fibres pour venir en renfort des matériaux, composites par exemple. Il y a des travaux sur l’inclusion de fibres dans les bétons, ou bien l’huile de lin qui va pouvoir remplacer certains produits dans la peinture. Autre exemple dans le sud manche, où il y a une unité qui intègre du chanvre pour faire des terrasses en composites… C’est donc attractif pour le monde industriel : si une entreprise veut utiliser des bio matériaux, elle trouvera facilement une capacité d’approvisionnement.
Et pour les consommateurs ?
Oui, la Normandie est attractive puisque l’innovation normande est également présente dans les modes de distribution. Aujourd’hui, le consommateur veut de la proximité, mais il veut également de la facilité.Depuis une petite dizaine d’années, on a vu ainsi apparaître de nouveaux modes de distribution pour répondre à l’exigence de qualité : les circuits courts, la vente en ligne, les drives fermiers, les marchés de producteurs de pays…. C’est un véritable enjeu parce qu’aujourd’hui le citoyen n’a plus conscience du fonctionnement de son agriculture. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons créé la marque Bienvenue à la Ferme : pour inciter les consommateurs à venir découvrir leur agriculture, au-delà de l’image d’Epinal. L’enjeu est d’ailleurs tout autant au niveau des consommateurs que de la restauration collective, qui intègre de plus en plus des produits locaux.
Quel est l’enjeu de toutes ces innovations ?
Aujourd’hui, toutes ces innovations vont dans le sens d’une amélioration d’au moins un des trois piliers du développement durable avec cette idée que toute innovation doit améliorer au moins l’un des piliers sans dégrader les deux autres. On peut améliorer la performance économique mais cela ne doit pas augmenter l’impact sur l’environnement ou la charge sur les hommes. On peut améliorer le bien-être au travail sans que cela ne dégrade le résultat et l’environnement. Quand on parle d’innovation, on essaie d’identifier en quoi elle va apporter un mieux sur au moins un des trois axes du développement durable, et si possible, les trois.
Bon à savoir :
- Concours Trucs et Astuces : 50 astuces, 15 lauréats, 10 vidéos ; le concours est ouvert jusqu’au 31 mars / remise des prix le 13 juin 2019 lors des Prairiales
- Le Forum Champs d’Innovation se tiendra le 21 novembre 2019
- Les Prairiales, qui se tient tous les ans avec une édition renforcée tous les deux ans réunit entre 1000 et 2000 éleveurs. La prochaine édition se tiendra le 13 juin
- 427 adhérents au réseau Bienvenue à la Ferme en Normandie (2018)
- 45 dates de marchés et une centaine de producteurs en Normandie en 2018
- 2 drives fermiers en Normandie (Manche et Eure)